Je te suivais du regard. Parti chercher tes partitions, rien que ça j'en tremblais. J'angoissais un peu parce que l'on m'avait dit que tu pouvais faire tellement de choses avec un simple piano. J'avais peur de céder moi aussi, comme tout les autres. De prouver ainsi une fois encore que je n'étais rien d'autre qu'une personne extraite de cette même masse.
Tu t'assois sur ton banc, déjà, tu ne me vois plus. Tu déplis alors tes longs doigts de pianiste fou, chacuns à sa place et de trois quart tu te places. Bientôt les nôtes s'envoleront et la musique commencera. J'attend la suite avec impatience.
Une note, puis deux, puis trois. Et d'autres qui suivent. J'ai la désagréale impression que tu l'as exprès. Me prendre par surprise... quoi de plus facile. Défilé de sons qui ne font plus que s'accélérer, l'air chargé de trop plein d'émotion. La salle que tu transportes avec toi. Autre part. Dans un autre monde, le tien, où tu sais si bien nous emmener. Le miens rejoint le tiens et ça lui fait le plus grand bien. Les allentours ont disparus.
Mes regards malgré tout qui restent lucides. Tes mains, si belles, toi. Ton visage. Petites mimiques que tu n'as pas l'air de contrôler. Les pieds qui tappent de plus en plus fort sur les pédales, ta tête que tu balances en mesure. Et le tout qui se déplace de manière presque instinctive. Tes doigts qui se prommènent sur le clavier, comme si ils ne l'avaient jamais quitté, comme si ils en connaissaient tous les moindre recoins et où tapper exactement pour n'en ressortir que le meilleur. Tel un automate tu les abaisses et les lèves de manière perpétuelle comme si tout n'était qu'un éternel recommencement de gestes automatiques. Tes yeux, un coup d'oeil. Ils sont fermés. Tu la connais donc par coeur ? Chaque fois que l'on attendait un son, une hauteur, tu nous en faisais découvrir une autre, cent fois, mille fois mieux. Je l'ai apprise moi aussi cette musique et pourtant j'ai l'impression que les deux versions sont totalement différentes. je perçois des changements, tes changements de tons, de tempos, de rythme, tes ajouts qui font que tu ne la joues même plus, tu l'interprête à ta façon. Tu t'appropries la musique. Tu voulais passer un message, dis toi que tu as fait bien mieux, tu as fait passer toutes les émotions inimaginables. Et ce, en un simple morceau de piano.
Toute note reflétait un sentiment à elle seule et toutes émotions ressenties ne provenaient que de ces suites de sons, imperceptiblent sûrement pris séparement, qui nous emportaient dans des souvenirs loingtain qu'il fait bon de temps à autres de se remémorer. Qu'ils soient bons ou non.
Puis j'ai vu pour la dernière fois tes mains se soulever, tel des mains d'automate. Le rapprochement ne s'est fait qu'un peu plus tard car bien que tes mains se soient arrêtées dans ma tête, le charme continuait encore. Et puis j'ai compris. Compris que c'était la fin d'une experience des plus troublante. Compris que tout ça n'était qu'un rêve et que la dure réalité des choses n'allait pas tarder à reprenre le dessus. Ai réalisé qu'il était temps de partir.