J'aime bien ton allée, tu l'as fait refaire ?
Et si ce n'était pas une bonne idée ?
Arrivée devant le portail j'hésite tout à coup. Pas longtemps, juste un instant. De quoi me demander depuis combien de temps je ne suis pas venue, pour te voir. Longtemps, bien trop longtemps à mon goût.
Pourtant j'aurais pu mais je ne l'ai pas fait, désolée.
La rouille, par endroit, à tellement attaquée la grille qu'on peut voir le métal au travers ; et cette peinture bleu azure qui s'écaille de partout, vraiment il faudrait que quelqu'un pense à la changer un de ces jours.
Finalement j'ai pris mon courage à deux mains, les ai posées sur la porte et je l'ai poussée.
Un bruit strident s'en échappa ; mince, moi qui voulais te faire une surprise.
J'avance doucement dans l'allée.
Doucement, par peur de les déranger dans leur profond sommeil.
Je fais de mon mieux mais sur mes pas les gravillons craquent, rompant ainsi le silence de mort qui régnait avant mon entrée.
J'observe tout autour de moi, pour ne rien perdre du spectacle qui m'est proposé.
Je vois des personnes que tu n'as pas connu, moi si. D'autre que je n'ai pas connu, toi non plus d'ailleurs. Et d'autre encore, tes contemporains que j'ai peut-être dû juste entrapercevoir, un jour de pluie, au coin d'une rue.
C'est bête si j'avais sû je serais allée leurs parler, échanger un mot ou deux et qui sait, plus encore.
Mais bon sang, où es tu ?
Je continu ma marche.
Il y a de plus en plus de fleurs fanées et de plantes qui envahissent peu à peu le jardin.
Bon c'est promis, dès que j'ai le temps, je reviendrai tout enlever, couper, et replanter en ta compagnie. Tu verras, comme avant.
Si j'avais su que tu avais des visiteurs, autre que moi, je l'aurais déjà fait depuis longtemps.
J'ai entendu dire qu'ils passaient assez souvent, c'est vrai ?
Tu sais, ils ne te connaissaient pas mais ils m'ont expliqué qu'ils aimaient eux aussi venir te voir, pour te parler un peu, ou même pas parfois, juste pour te voir.
Je crois qu'ils sont désolés de ne plus venir aussi souvent qu'avant, comme moi, mais je suis sur qu'ils le regrettent eux aussi.
Si ils pouvaient, c'est sur qu'ils passeraient plus.
Je ne sais pas si je t'ai déjà raconté cette histoire.
Je l'ai appris par hasard, oui comme ça.
On discutait entre amis, et puis ils se sont dit : " Tien, si on allait voir Léon ? ".
Je n'ai pas tout de suite réagit mais lorsque j'ai compris j'ai souri et pleuré un peu aussi. J'étais contente et étonnée en même temps que mes amis, inconnus de toi, en mon absence, viennent te tenir compagnie, sans savoir qui tu es, pour que tu ne sois pas seul. Tu n'as jamais supporté la solitude.
Tu sais, ils ne m'ont pas cru du tout au début, quand j'ai dit que tu étais mon grand-père. C'était normal d'un côté.
Mais avec la description que j'ai faite de toiet ton logis, ils étaient bien obligés.
Ils ne m'ont dit que du bien de toi, qu'ils allaient souvent te parler avant.
Ils ne te connaissaient pas très bien mais ça ne changeait rien pour eux.
Ils se sont amusés à t'inventer une vie, à s'inventer ta vie.
Tu avais fait et vécut la Guerre, ce qui est vrai.
Mais dans leur imagination tu portais la moustache, une barbe, et des lunettes aussi, je crois. Oui, moi aussi ça m'a ait rire.
Tu étais un peu leur mythe, une légende. Peut-être te voyaient-ils aussi comme leur papi.
Je me suis empressée de leurs conter ton histoire, la vrai. Ton passé ou ce que je m'en souvenais, tes passions, toi quoi.
Je voulais bien faire mais tu sais quoi, ils ne me l'ont pas dit mais je crois qu'ils ont été un peu déçut. Tu n'étais plus que mon papi, un homme comme les autres.
Non, ne t'en fais pas, je suis sur qu'ils t'aiment toujours autant.
Malgré tout.
Ah te voilà enfin, au loin. Je m'approche.
C'est fou, j'avais presque oublié à quoi ressemblé ton nouveau chez toi.
Le plus beau et le plus original de tous à ce qu'ils m'avaient dit. C'est vrai ça, le plus original. Tout ça grâce à toi, c'est toi qui l'as voulut ainsi.
Je m'assieds sur l'unique marche, près de toi, comme à mon ancienne habitude.
" Coucou, alors tu me raconte quoi papi ?
Oui je sais, ça fait longtemps.
Tu m'excuses ?
Il s'est passé des tonnes de choses depuis ma dernière visite.
Oui j'ai grandit, je sais comme toujours. Le temps passe vite hein !
Tu me manques beaucoup tu sais.
Bien sur que oui c'est vrai. Tu crois que je te le dirais , si je ne le pensais pas ?
Mami ?
Oui elle va bien. Oui, la famille, les animaux, tout le monde va bien.
Et Jonathan ?
Comme tous les frères et soeurs, on s'engueule toujours autant.
Que veux tu, on ne se refait pas. Oui d'accord, j'essaierai, mais je ne te promets rien.
Moi, comment je vais ?
Egale à moi même.
Quoi ?
C'est pas une réponse ça, oui je sais, mais ne t'en fais pas pour moi, tout va bien.
Et toi, dis moi, tu es bien ici ? "
C'est vrai, j'avais oublié que tu ne parles pas beaucoup, et surtout pas de toi.
Tu préfères m'écouter.
Tu sais ça me manque, ces discutions à sens unique qu'on avait tout les deux, ces discutions où parfois je ne te disais rien, être près de toi me suffisait.
De toute façon je n'ai jamais su où regarder pour te parler depuis que tu es parti ; ciel, ou terre ?
J'ai bien fait de pousser cette grille, ça faisait longtemps et j'en avais bien besoin.
Bon je vais te laisser maintenant, oui, le soir tombe.
Promis, je reviendrai ; bientôt.
Léon Steinmetz, mort en 1997.
Je n'arrive toujours pas à y croire.
Je n'arrive toujours pas à m'y faire.
Et vous non plus je parie.